Guerre de la confidentialité des données ?

Nous dirigeons-nous vers une guerre de la confidentialité des données des entreprises technologiques ?

Nasdaq Apple, Google & Facebook stocks, end of november 2018

Source: Nasdaq.com

Si vous ne l’avez pas déjà fait, il pourrait être intéressant d’écouter le discours de Tim Cook, PDG d’Apple, le 24 octobre au Parlement européen. Il en a profité pour faire son petit marketing, bien sûr. Mais, au-delà de ses objectifs en tant que dirigeant d’une multinationale, ce qui est intéressant dans son discours, c’est la façon dont il défend farouchement la confidentialité des données.

Nous découvrons une nouvelle caractéristique de cet homme d’affaires : l’agressivité. En effet, nous étions habitués à un Tim Cook plutôt prudent, un homme conservateur, d’un point de vue commercial, quelqu’un qui transmettait de la confiance précisément en raison de sa modération. Quelqu’un qui pourrait même devenir ennuyeux, surtout face à l’inévitable comparaison avec son prédécesseur, le mythique Steve Jobs. A quoi peut-on attribuer cette nouvelle approche ?

Au cours des trois derniers mois jusqu’à hier, Apple a perdu 21% de sa valeur boursière, pour 11% de Google et 22% de Facebook. Néanmoins, la descente semble s’être corrigée depuis la mi-novembre, après, ne l’oublions pas, la campagne du Black Friday, qui existe aux États-Unis depuis les années 1960 et où elle a toujours eu un impact énorme. S’agit-il d’une nouvelle tendance ou d’une légère fluctuation ? A suivre de près.

Quoi qu’il en soit, l’entreprise de Cupertino, depuis l’époque de Steve Jobs, a toujours fait de la protection des données l’une de ses valeurs fondamentales. Et ce, malgré le fait qu’il a suscité des soupçons à ce sujet. Par exemple, en 2010, aux États-Unis, un groupe d’utilisateurs a déposé une plainte contre l’entreprise pour avoir vendu des données d’utilisateurs à des tiers. Certaines applications iPad et iPhone seraient concernées.

En tout cas, sans les nommer directement, M. Cook parle de…

“complexe industriel de données”

en faisant très probablement référence, entre autres, à Alphabet (Google, Youtube, Android…) et Facebook (Instagram, Whatsapp,…)

“Votre profil est ensuite soumis à des algorithmes qui peuvent servir des contenus de plus en plus extrêmes, transformant nos préférences inoffensives en convictions endurcies”

Le loup aurait-il décidé d’enfiler la peau de l’agneau ? Ou s’agit-il d’une véritable défense du droit à la vie privée ?

Et il a ajouté, catégoriquement :

“C’est de la surveillance. Et ces stocks de données personnelles ne servent qu’à enrichir les entreprises qui les collectent”

M. Cook choisit probablement ses mots très soigneusement. Et le mot surveillance va bien au-delà du vocabulaire habituel du Big Data corporatif : la surveillance n’est plus un mot marketing, mais toute autre chose. Devrions-nous comprendre que M. Cook essaie de nous mettre en garde contre un danger qui dépasse le domaine des affaires et qui s’inscrirait carrément dans celui de la politique, voir même de celui de la police ?

Il a également eu quelques mots pour l’Antelligence Artificielle :

“Pour que l’Intelligence Artificielle soit vraiment intelligente, elle doit respecter les valeurs humaines, y compris la vie privée. Si nous nous trompons, les dangers sont profonds. Nous pouvons atteindre les deux : une extraordinaire Intelligence Artificielle et de normes de protection de la vie privée, extraordinaires aussi. Ce n’est pas seulement une possibilité, c’est une responsabilité.
Dans la poursuite de l’Intelligence Artificielle, nous ne devrions pas sacrifier l’humanité, la créativité, l’ingéniosité qui définissent l’intelligence humaine”

En s’adressant aux représentants de l’Union européenne et concernant leur nouveau règlement sur la protection des données :

“Merci pour votre travail, pour votre engagement envers la possibilité d’une technologie axé sur l’homme”

Cela montre clairement qu’Apple se positionne stratégiquement du côté de l’Union européenne, en s’affrontant à d’autres entreprises technologiques. Son but ici semble être de regagner le sommet du marché des smartphones par rapport à Android (Alphabet, Google, Youtube,….) Un marché, celui des smartphones, qui commence à montrer des signes clairs de maturité. Et, en même temps, il essayerait de se débarrasser de la pression suffocante d’une véritable pieuvre des réseaux sociaux, comme Facebook (Instagram, Watsapp). En ce sens, il sera également intéressant de voir la position de Microsoft (Linkedin, Skype, Bing,…)

Cependant, il est difficile de croire qu’il n’y a qu’une seule grande multinationale dans le monde qui ne collecte pas et n’échange pas de données de ses utilisateurs. Depuis les années 1950, le profiling de la clientèle est constamment évoqué dans les manuels de marketing. Mais cela peut varier selon les cas. Par exemple, pour Google et Facebook, ce pourrait être une activité presque exclusive, alors que pour des entreprises comme Apple ou Microsoft ce n’est pas le cas, car leur diversification est énorme.

Apparemment, la nouvelle orientation stratégique d’Apple viserait à attaquer sans relâche les entreprises qui dépendent fortement du marché des données. Cela pour deux raisons : premièrement, pour les vaincre en tant que concurrents. La deuxième raison de cette stratégie pourrait être le désir d’auto-nettoyage, concernant le respect de la vie privée de l’utilisateur.

Cela permettrait d’atteindre deux objectifs : d’une part, accroître sa part de marché par rapport à ses concurrents et, d’autre part, obtenir une confiance quasi aveugle de la part de ses utilisateurs, qui n’hésiteraient donc plus à partager leurs données privées sur les réseaux, que ce soit sur iTunes ou sur d’autres plate-formes en ligne.

Le fait qu’Apple applaudisse le travail de l’Union européenne concernant la défense de la protection des données est très positif. Mais il ne faut pas oublier que cette société est énorme, qu’elle dispose de ressources à peu près illimitées et que, dans le cas d’une enquête, la relation entre elle et les pouvoirs publics serait comparable à celle qui existe entre Goliath et David. Avantage Apple, bien sûr. Cela pourrait poser d’énormes difficultés aux autorités publiques pour détecter d’éventuelles infractions au règlement sur la protection des données.

En outre, le secteur des technologies est déjà très concentré et ce nouveau mouvement d’Apple, porté à ses dernières conséquences, pourrait conduire à une concentration encore plus forte. Nous nous approcherions en fait d’un “gouvernement d’entreprise” par opposition à un “gouvernement démocratique” dans un marché, celui des tech, qui a montré une tendance croissante à engloutir tous les autres. Nous pouvons le voir, par exemple, dans l’extraordinaire expansion de d’Amazon dans toutes les directions au cours des trois dernières années.

LIENS EXTERNES:

The Week in Tech: Apple Goes on the Attack – By Jack Nicas
New York Times

Apple Is Worth $1,000,000,000,000. Two Decades Ago, It Was Almost Bankrupt
New York Times

What is Black Friday ?
The BlackFriday.com

Les 5 choses à savoir sur le Black Friday, qui se déroule ce vendredi (20.11.2018)
Le Nouvelliste

The Betrayal of Adam Smith – When Corporations Rule the World
by David C. Korten

David Korten
Official Website

THE PRICE OF CIVILIZATION – By Jeffrey D. Sachs
Editor’s Website

Amazon, une multinationale à laquelle rien ne résiste
Le Temps

Apple Inc. litigation
Wikipedia

Singularité : Intelligence Artificielle et Sentiments

Singularité : Intelligence Artificielle et Sentiments

André Guillen

Normalement, on dit qu’un garçon est intelligent, comme synonyme de brillant. Nous avions toujours cru que l’intelligence était une particularité exclusivement humaine. Et nous ne nous imaginons pas dire qu’un artefact artificiel, qu’il s’agisse d’une voiture, d’un jouet ou de toute autre chose: cette machine est intelligente, n’est-ce pas ? Ou le dirions-nous en parlant d’un logiciel de santé ou d’un jeu vidéo ? Je ne crois pas, non. Pas encore, en tout cas. La singularité n’est pas encore là.

Mais nous, notre société, notre progrès, comme le surfeur, qui au sommet de la vague de sa vie, nous courons et accélérons enormément vers ce point où l’intelligence artificielle dépassera le cerveau humain et sera aussi propre à d’autres entités. Devrions-nous dire d’autres choses, d’autres objets, d’autres machines ?

Singulari Artificial Intelligence Concept

Peut-être, ce que nous appelons l’intelligence aujourd’hui, se transformera-t-il en quelque chose avec sa propre nature. Le nuage est peut-être une préhistoire de ce que pourrait être cette intelligence éthérée et omniprésente. Toutes ces informations, toutes ces données, cet incroyablement grand Big Data, concentrées dans quelques fermes à données partout dans le monde et constamment partagées avec toute l’humanité, avec la permission des sociétés technologiques, bien sûr. Ça pourrait être le début de tout.

Mais il y a autre chose à prendre en considération. De la même façon que nous avons dit au garçon qu’il est intelligent, nous le disons à la fille, bien sûr, mais dans les deux cas, nous ne leur disons pas seulement qu’ils ont beaucoup de données dans leur cerveau, ou qu’ils sont capables de calculer très rapidement, ou qu’ils peuvent lire très vite. Il y a autre chose, quelque chose que seuls les humains ont en ce moment. Et c’est tout cela, plus les sentiments, les humeurs, un certain type de sensibilité que seuls les humains ont et peut-être d’autres choses que nous ne savons pas encore. Les activistes pour les animaux peuvent aussi soutenir que les animaux peuvent montrer ces attributs, en particulier les mammifères. Mais concentrons-nous, pour l’instant, sur les humains.

La première personne à avoir jamais mis sur la table le concept de singularité a été le mathématicien John von Neumann. En fait, son vrai nom était Neumann János Lajos et il est né à Budapest, à l’époque, faisant toujours partie de l’Empire austro-hongrois. Dès son plus jeune âge, il s’est avéré avoir une intelligence extrêmement fine et il finit par devenir l’un des mathématiciens les plus importants de son temps. Entre autres, ses contributions sont importantes en mécanique quantique et en théorie des jeux.

Voici une des choses qu’il a dit au sujet de la singularité : “Le progrès technologique deviendra incompréhensiblement rapide et compliqué” C’était dans les années 50 du siècle dernier.

Nous pourrions définir la singularité comme le point où les humains et les machines se mélangent, se fondent les uns aux autres, de sorte que nous ne pouvons pas dire où l’un commence, ni où l’autre finit : c’est le point où l’intelligence artificielle surpasse l’intelligence biologique. Et puis, oui, nous dirons probablement à une chose : vous êtes intelligent, c’est-à-dire que ce est intelligent.

Plus récemment, des spécialistes parlent aussi du concept d’explosion de l’intelligence pour parler de singularité et l’inventeur Ray Kurzweil, dans son livre The Singularity Is Near, dira que la date de début précise serait l’année 2045. Je trouve un peu difficile de faire une prophétie aussi exacte, mais M. Kurzweil a la réputation d’avoir raison dans de nombreux cas, dans de nombreuses prédictions.

Récemment, j’ai rencontré le jeune entrepreneur suisse Alen Arslanagic, nominé par Forbes 30 under 30, c’est-à-dire les 30 personnes de moins de 30 ans les plus influentes dans leur région. Il m’a dit, lors d’une interview dans le cadre de mon travail pour la Fondation impactIA, que la réponse la plus plausible à la singularité, afin d’éviter d’être gouverné par les machines (ou peut-être le seul) serait d’intégrer l’intelligence artificielle comme partie de notre humanité. Et il dirait spécifiquement, par exemple, que nous serons très probablement connectés en permanence au cloud, afin de récupérer et de traiter les données. Il a aussi dit que nous communiquerions entre nous sans nous parler ; une version technique de la télépathie, je dirais. Un peu bizarre, non ? Mais, en même temps, absolument fascinant.

Mais alors, si nous intégrons l’intelligence artificielle en tant que partie de nous-mêmes, si nous devenons des cyborgs hyper-mega intelligents, à quoi bon vouloir intégrer les sentiments humains dans d’autres corps, comme les robots, par exemple ? Pour quoi faire ? Parce que si le prophète est déjà allé à la montagne, pour emprunter une image biblique, pourquoi alors penserions-nous même à déplacer cette montagne ? Nous, les humains, pourrions encore avoir des sentiments en exclusivité et nous enrichirions nos vies de façon exponentielle avec l’intégration de l’intelligence artificielle en nous-mêmes. Une question cruciale à cet égard est toujours (et chaque fois davantage) la protection de la vie privée. Et un autre sujet important, lié au premier, serait de savoir qui est le propriétaire des données, du Big Data ?

Quoi qu’il en soit, nous sommes évidemment aujourd’hui au bord d’un incroyable changement dans l’histoire de l’humanité, un changement comme nous n’en avons jamais vu auparavant. Il est donc difficile de prédire exactement ce qui se produira et ce qui ne se produira pas. Un changement qui a déjà commencé et qui va s’accélérer chaque jour dans les décennies à venir dans une progression géométrique.

John von Neumann

Ray Kurzweil

impactIA Foundation

Alen Arslanagic – Forbes 30 under 30